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A Beaune, le « tabou » du racisme ordinaire

9/28/2018

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Article paru dans Le Monde, le 27/09/2018

Une fusillade visant un groupe de jeunes, fin juillet, a marqué les esprits et mis au jour un malaise latent.
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REPORTAGEBEAUNE (CÔTE-D’OR)- envoyée spéciale

Le plus petit crissement de pneus les fait désormais bondir. Le moindre vrombissement de moteur les fait frémir. Ce soir-là, il a suffi de la soudaine accélération d’une voiture dans un virage pour les faire décoller en trombe. Assis sur une table de ping-pong en plein air où ils se roulaient tranquillement des joints au son de Wat U On, du rappeur américain Moneybagg Yo, les cinq copains se sont levés d’un bond pour se lancer à la poursuite du véhicule « suspect », bien décidés à vérifier les identités et les intentions des deux occupants. Fausse alerte, il s’agissait de « deux abrutis qui faisaient les malins ».

C’est comme ça, dorénavant, dans le quartier populaire Saint-Jacques, à Beaune, en Côte-d’Or. Depuis cette nuit du 29 au 30 juillet où deux hommes à bord d’une Mercedes ont tiré au fusil de chasse sur un groupe de jeunes en les traitant de « sales bougnoules », les habitants sont à cran. Et jouent les sentinelles. Malgré eux. « On est complètement traumatisés, un rien nous fait complètement flipper, souffle Bilal (les prénoms des résidents cités ont été modifiés), 25 ans, étudiant en économie et gestion, présent ce soir-là. On a pris une vraie claque psychologique. Le racisme, on y a affaire tous les jours, mais jamais on n’avait pensé que ça pourrait aller jusque-là. » Sept personnes, âgées de 18 ans à 25 ans, ont été blessées, dont deux sérieusement, par des dizaines de gerbes de plomb de calibre 12.

Dans les jours qui ont suivi l’attaque, la page Facebook de soutien aux victimes créée par une voisine, Nadège, 38 ans, n’a pas reçu que des messages bienveillants. Elle a aussi enregistré des dizaines de mots haineux : « Bravo sa leur servira de leçon la nuit c’est fait pour dormir ils non rien à faire à 4 h du matin », « Ils ont eu raison de le faire parce que je pense que c’était des petite racaille de merde qui se sont fait fusillés », « T’as qu’à pas faire chier ton monde à 4 h 30, tu te feras pas plomber », « Alors les pleureuses ca va (…) ca fait les caids et la sa pleure !!!!!! bande de bouffon », « (…) des singe bougnoule boukak gris c pas grave. »

Il était 4 h 20 cette nuit-là lorsque les deux assaillants ont tiré. Une quinzaine de jeunes étaient rassemblés aux abords du city-stade, un petit terrain de sport logé au cœur du quartier. C’est un rituel depuis quelques années. Chaque été quand vient le soir, ils aménagent un salon à ciel ouvert. Ils disposent tables et chaises « empruntées » sans permission au centre social voisin, sortent canettes, bouteilles de bière et chicha, lancent la musique, installent un écran plat et branchent une console de jeux à un réverbère « grâce à un copain qui a un BEP d’électricien », sourit Bilal. Et d’ajouter : « Vous croyez qu’on ne préférait pas être ailleurs ? Si ! Mais personne ne veut de nous. »

« Pas les bienvenus »

​Bilal et ses copains ont 20 ans, des envies de sorties en boîte et de virées dans les bars, mais nulle part où aller. « Où qu’on aille, on se fait refouler, déplore Walid, 30 ans, qui a grandi à Beaune, aujourd’hui chauffeur-livreur en région parisienne. Mais il est rare que qui que ce soit nous prenne ouvertement de front. » Le racisme dont il parle n’a rien de tapageur, c’est une version insidieuse qui se manifeste sans faire de vagues.

La scène a quelque chose de surréaliste. Et de glaçant. On se croirait dans un Tex Avery tellement les visages de ces deux couples de retraités en train de déjeuner à la terrasse d’un bistrot du centre-ville sont expressifs : à l’arrivée de Walid, ils se décrochent littéralement la mâchoire et se figent, sans un mot. Et sans masquer leur stupéfaction de le voir là, au cœur de la vitrine touristique de cette commune de 23 000 habitants située sur la route des grands crus de Bourgogne. Leurs regards restent fixés sur le jeune homme pendant un temps qui semble interminable. « C’est quand même super mal élevé de faire ça », commente Walid, en plongeant ses yeux dans le menu. Il a appris à encaisser, sans monter au créneau.

Moins d’un kilomètre sépare Saint-Jacques et ses 7 000 habitants du centre-ville, mais les jeunes de la ZUP (zone à urbaniser en priorité, c’est ainsi que l’on continue d’appeler le quartier) vont rarement s’asseoir aux terrasses des cafés. « Il y a longtemps qu’ils ont intégré où ils ont le droit d’aller et où ils ne sont pas les bienvenus, témoigne Jean-Marc Gossot, animateur social. Malheureusement, ils ont l’habitude, c’est la vie d’une petite ville de province. »

Avec ses 1,8 million de touristes chaque année et son centre historique propret, la ville est surnommée « la Principauté de Beaune » par les Dijonnais. Même si, insiste le maire (Les Républicains) Alain Suguenot, « la ville est faussement riche » : « Les Beaunois eux-mêmes sont au smic, la moitié d’entre eux vivent en HLM. »« Il n’y a rien pour nous dans le centre, souffle Christopher, 22 ans, pâtissier. On a l’impression de faire tache même si on fait attention à bien s’habiller. »

Comme ce jour où Samir a fini par comprendre à demi-mot la raison pour laquelle un patron de bar lui refusait l’entrée : l’homme le supposait musulman pratiquant et donc non consommateur d’alcool. Bilal, lui, a eu une explication avec un videur : « Sa consigne était claire : si on en laisse rentrer un, les autres vont rappliquer, donc tu n’en laisses rentrer aucun. » « Cela dit, les rares fois où on réussit à rentrer dans une discothèque, je me demande si ce n’est pas pire… », poursuit l’étudiant, avant de raconter comment, un soir, une bande de « campagnards » s’est dirigée vers lui, regards insistants et main droite sur le cœur, alors que le DJ passait la Marseillaise. S’en est suivi un débat auquel « les Arabes du quartier » n’échappent plus : « On ne peut pas sortir sans qu’à un moment on nous prenne à partie sur les attentats et l’islam. » Ni rester dans le quartier sans qu’on les présume dealers.

A Beaune, à la mi-septembre, c’est la saison des vendanges. Et tous les soirs, à Saint-Jacques, c’est le même ballet. Des essaims de vendangeurs en guenilles se dirigent droit vers les jeunes en murmurant : « T’as pas quelque chose à fumer ? » La ZUP n’a pourtant rien d’une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Qu’importe, « il suffit d’habiter un quartier populaire et d’être noir ou arabe pour qu’on vienne vous demander », constate Rachid, 22 ans. Assignés au deal, en somme.

Dans ce quartier composé d’une douzaine de petits immeubles entourés de pavillons, il n’y a ni guerre de territoires, ni rixes entre bandes, ni émeutes. Le bâtiment le plus haut, que les riverains appellent « la tour », compte seulement sept étages. « A Beaune, aucun quartier ne pose de problème particulier, confirme le procureur de Dijon, Eric Mathais. Il y a un petit peu de trafic de cannabis mais rien de significatif. C’est une petite ville très tranquille. »« Alors, lorsque certains ont parlé de la fusillade en évoquant un règlement de comptes, on avait tous la rage », raconte Fatima, une mère de famille.

L’attaque s’est déroulée en deux temps. Peu avant 2 heures, les occupants d’une Renault Clio, à la recherche d’un type qui les aurait « carottés » à propos d’une histoire de voiture, se sont violemment opposés au groupe de jeunes avant de foncer sur deux d’entre eux et de repartir à vive allure en proférant des insultes racistes – « Bande de sales bougnoules, on va revenir vous calibrer. » Ils ont mis leur menace à exécution en revenant deux heures plus tard.

« On n’en parle pas »

Les forces de l’ordre ont interpellé les assaillants dix jours plus tard, alors qu’ils avaient fui dans les Bouches-du-Rhône. Les deux hommes, deux Dijonnais âgés de 31 ans aux casiers judiciaires bien remplis (vols, détention d’arme, violences…), nient être les auteurs des tirs et avoir proféré des insultes à caractère raciste mais reconnaissent avoir eu une altercation avec les jeunes du quartier plus tôt dans la soirée. Ils sont poursuivis pour « tentative d’assassinat aggravée d’un mobile raciste, de l’usage d’une arme et d’une commission des faits en réunion », « injures publiques à caractère racial », « menaces de mort à caractère racial » et, pour l’un d’eux, « tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de la force publique » (lors de son arrestation, il a renversé un gendarme en tentant de fuir).

​Depuis la fusillade, Bilal ne dort plus et fume trop (de cannabis). Il a du mal à se remettre en selle et peine à en parler à sa mère. « Le racisme dans nos familles, c’est tabou », dit-il. « Je ne veux pas lui bourrer le crâne, alors, c’est vrai, on n’en parle pas », confirme sa mère. « Nos darons, ils étaient là pour le travail, ils ne voulaient pas faire de vague, ne réclamaient rien et baissaient la tête, estime Walid. Pour nous, c’est très différent. Nous sommes nés ici, la France c’est notre pays. On ne parle pas pour se plaindre, on parle pour faire valoir nos droits. »

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